Le moment opportun
« Un flocon ne pèse rien
Celui-là en fait choir
la neige accumulée sur la feuille »
Ce haïku est une belle illustration du « moment opportun ».
Dans notre taïchi chuan c’est un moment essentiel de la pratique. C’est ce que nous allons voir. Ensuite nous verrons que l’Aïkido a aussi cette qualité.
Le TAICHI CHUAN
« Si vous allez trop vite ce moment n’est pas encore arrivé, si vous allez trop lentement vous ratez l’occasion. Lorsque l’on arrive à saisir ce moment, tout se passe très naturellement et les mouvements deviennent plus faciles… Il faut que l’esprit et le cœur restent calmes, sereins, lucides, c’est seulement dans ces conditions que l’on arrive à saisir ce moment, sinon même si le moment se présente, vous ne le savez pas. » (Gu Meisheng)
Chaque mouvement du TCC se compose de deux phases, une phase dite d’ouverture ou d’accumulation de l’énergie, yang ; et une phase dite de fermeture ou de restitution d’énergie, yin. C’est au moment du passage de l’un à l’autre que se situe le « moment opportun ».
Rappel sur le yin et le yang1 dans la pensée chinoise.
Ce ne sont pas deux opposés comme on le pense parfois, par exemple le jour et la nuit mais des passages tels que l’aurore annonçant le jour et le crépuscule annonçant la nuit. Dans ces espaces se situe l’ « moment opportun ».
L’AIKIDO
Dans la pratique de l’aïkido, on trouve ce moment :
- Au cours de l’exécution de la technique, comme dans le mouvement de taïchi chuan.
- Et aussi lors de la rencontre entre uke-tori, moment que l’on nomme le Ma-aï.
Au cours de l’exécution d’une technique il y a un aspect yang et un aspect yin. Prenons 3 exemples - Suwari-wasa intention de shomen ikkyo2.
Tori « bloque » la frappe du partenaire (yang) puis le « pousse » pour le déséquilibrer (yin).
En exécutant la torsion, la frappe est déviée et c’est là que se situe le moment opportun, inutile de pousser, les doigts vont se fermer naturellement sur le bras de uke et le genou avancera très naturellement et uke sera conduit au sol.
Il en est de même pour tous les mouvements. Un autre exemple ;
- Pour tenchi-nage3. Lorsque uke est pris, il est souvent dit d’entrer derrière lui avec les hanches pour le faire chuter. C’ est une erreur parce que c’est là qu’est le « moment opportun ».
- Shiho nage.
C’est plus manifeste pour cette technique parce que tori tient le poignet d’uke, l’envie de faire tomber est très prégnante, c’est au moment de cette « envie » qu’il faut « laisser faire ».
Comme nous le voyons dans ces exemples, le moment opportun se situe quand uke est « pris » et que tori va agir, c’est dans cet espace que se situe le moment opportun.
- MA-AI
Le concept de MA-AI, bien connu dans les arts martiaux japonais est de mon point de vue le « moment opportun »
Ma 間 , ce caractère japonais est traduit par intervalle, interstice. Associé à Aï 合 (harmonisation, unité) que l’on retrouve dans aïkido, il signifie espace-temps, capacité à agir devant un « adversaire ».
Voyons cet idéogramme : 間 (ma)
Il se compose du caractère porte 門 et du caractère soleil 日. La lumière du soleil passe entre les deux vantaux de la porte, filtre par cet interstice. Une belle métaphore du « moment opportun ».
Une attaque ne serait-elle pas yang et la défense yin ?
Comment saisir le « moment opportun » ? On ne pourra pas, il faut lui laisser le temps de s’exprimer. comment ? Ce n’est pas du domaine de la volonté, de l’égo (Il n’est pas question de SEN 先4). Le corps doit être dans une position juste et dans un mouvement juste, et pour reprendre les mots de Gu Meisheng, si l’esprit et le cœur restent calmes, sereins, lucides, le « moment opportun » se manifestera.